Souvenez-vous il y a deux semaines, Éliane était en pleine exploration de la banquise et observait la faune dans le décor majestueux de l’arctique.
Soudain, notre guide Nathalie, fusil à l’épaule, en silence, pointe de son index le pied de la montagne !
Ce point en mouvance, qu’est-ce que c’est ? On n’y croit pas mais, c’est bien lui, progressant parmi un enchevêtrement de glaces fracturées, c’est lui… Nanuk, le redoutable et redouté ours polaire. Dès lors on oublie le froid qui nous enveloppait durant l’attente. On oublie l’envie d’un café fumant…. On oublie tout, concentré sur cette masse blanchâtre qui se dirige vers nous d’un pas assuré ! Massif, majestueux dans ce paysage dramatique, il avance lentement, relevant le museau pour mieux humer l’air qui le guide jusqu’à sa proie ! Hésitant, il prend un élan pour franchir un passage en eau libre. Il bondit, la glace cède sous son poids, il se redresse, et accède à une parcelle épaisse et solide, fourrure ruisselante. Maintenant il est proche, 70, 80 mètres ? Nous sommes sur le qui-vive, prêts à déguerpir au moindre signe de danger. Il hume encore l’air dans notre direction puis tourne la tête et chemine vers la carcasse de narval abandonnée par des chasseurs Inuits. Le silence s’installe, nous retenons notre souffle. Non, je ne rêve pas, nous sommes au royaume de Thulé, à la table de son monarque !
Ce point en mouvance, qu’est-ce que c’est ?
Le temps d’une dégustation et Messire reprend son chemin vers l’horizon, droit sur un soleil pâle qui remonte timidement dans le ciel. Il est plus de 3 heures du matin ! Reprenant la même direction, nous rentrons au camp, les yeux portés sur cette imposante silhouette qui s’éloigne comme elle s’était approchée.
Messire reprend son chemin vers l’horizon !
Une autre observation est venue combler de bonheur ce dernier jour sur une banquise qui s’égare un peu plus encore dans l’océan. Alors que nous scrutions les eaux marines et cherchions un signe de sa part sur l’horizon, le narval nous surpris par son souffle à moins d’une encablure de notre site d’observation. Dépourvu de nageoire dorsale, le narval n’a cessé de frapper l’imaginaire avec cette longue défense torsadée qui le distingue de tous les cétacées et le rapproche de la mythique Licorne. Cette excroissance d’ivoire, que seuls les mâles possèdent, est considérée comme une dent et des scientifiques ont récemment découvert que le narval pouvait l’utiliser pour chasser comme expliqué dans ce petit clip vidéo (2’57’’) de Pêches et Océans Canada. D’autres recherches ont démontré que cette dent était un organe de détection et qu’elle était flexible. Le narval peut rester plus de 20 mn sous l’eau avant de remonter prendre plusieurs respirations. Sa tête ressemble étrangement à celle du béluga. De couleur brun moucheté, notre prince nous a montré son fleuret à l’extrémité, malheureusement brisé, avant de replonger dans les profondeurs de l’océan.
Narval
Narval et mirage arctique à l’horizon !
À l’instar du Sahara, cette zone polaire sait produire ces illusions d’optiques. Les mirages arctiques ont trompé nombre d’explorateurs et navigateurs chevronnés comme Ross ou Peary qui se sont fait piéger par un relief fantôme comme si l’Arctique voulait se protéger de toute incursion étrangère. Ce phénomène appelé aussi fata morgana est assez particulier. Il est le résultat de conditions atmosphériques qui courbent la lumière et renvoient l’image d’un objet (montagne, bateau, iceberg etc.) au-dessus de ce même objet. Ces conditions sont connues sous le nom d’inversion de température : l’air froid se trouve près du sol et l’air plus chaud tout au-dessus, ce qui produit cet effet trompeur.
Mirage arctique ou fata morgana
Mirage arctique ou fata morgana
Pris par la tempête pour notre retour vers Pond Inlet, j’observe Jack, notre guide Inuit, agir pour nous sortir des mauvaises passes, franchir les larges fissures d’une banquise écartelée, tracter nos motoneiges pour les dégager de la slush, de ces pièges tendus par le vent, la pluie mais aussi le réchauffement climatique. Nous mettrons plus de 6 heures pour rentrer à Pond Inlet !
Ces quelques jours d’exploration sur la banquise, en qamoutiq, m’ont fait découvrir à quel point l’Arctique est un endroit envoutant, fascinant, sublime. L’Arctique est intense mais fragile. À l’approche de l’été, on y perd la notion du temps avec le Soleil qui ne se couche jamais. Au Zénith, ce dernier fait étinceler neige et glace. Il écrase les reliefs et aveugle. À l’heure où il rase l’horizon, il étale, comme un baume apaisant, une lumière aux nuances de parme que tout le paysage absorbe en reprenant ses formes ! Dès lors on peut voir une fine glace se reformer à la surface de l’eau.
Le soleil étale comme un baume apaisant une lumière aux nuances de parme !
Comme dans nombre de désert, l’atmosphère cristalline vous fait perdre toute notion des distances dans cette fragile transparence. Aucun repère, aucune échelle pour mesurer la distance qui nous sépare de la montagne la plus proche, de l’iceberg le plus gros. Un point à proximité peut être très éloigné et prendre du temps avant d’être atteint.
Cette immensité étourdit, donne le vertige parfois mais l’immobilité et le silence qui s’en dégagent, apaisent l’âme tourmentée. Malgré l’absence totale de végétation, je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’une vie intense réside sous la glace, dans le Monde du Silence. Invisible, je n’en perçois les sons qu’avec le sonar à notre disposition. Casque sur les oreilles, la complainte du phoque et du narval explose à mes oreilles…! Ce chant me parvient comme une longue plainte ! Un sanglot ! Qui nous dira ce que ces accords signifient ?
Sur la banquise l’essentiel de la vie reprend ses droits. On est déconnecté de tout… oubliez Facebook, courriels, téléphone, tweet, douche et compagnie… Ici est l’authenticité de la vie, celle qui palpite en nous depuis la nuit des temps, celle qui a soif, faim, qui rit, chante ou pleure devant tant de beauté ! Celle qui a peur lorsque les éléments sont déchainés.
La musicalité de l’Arctique est et sera toujours pour moi, dans le regard de l’Inuit qui, tel un miroir, nous en renvoie les harmonies. Elle est dans sa démarche calme et franche en toute circonstance, dans son sourire , dans son rire dont les éclats font vibrer l’air figé dans la froideur ! Depuis plus de mille ans, l’Inuit apprivoise l’Arctique. Il a conquis ce royaume pas à pas comme dans un film au ralenti, avec prudence et respect. Il sait qu’on ne lutte pas contre les éléments alors il compose avec eux ! L’enseignement inuit a été des plus précieux à l’ère des grandes explorations. Il est malheureux que nous l’ayons compris si tardivement. Je pense aux navigateurs, explorateurs, prospecteurs des siècles et décennies passées, à leur méfiance face aux peuples autochtones. Qu’auraient-ils rapporté de leurs expéditions polaires sans l’Inuit ?
Jack guide Inuit : démarche calme et franche en toute circonstance !
Dans la trace du monarque de la banquise !
Un sentiment de culpabilité m’envahit alors que résonnent en moi les paroles d’Akinisi de Richard Desjardins : « … Je suis une légende et toi t’es une affaire ! Je te donne l’éternité et tu me donnes une bière… Dans la toundra, y’a des bons gars ! ».
Tant et aussi longtemps qu’il y aura des Inuits, qu’il y aura un Jack dans l’Arctique qui initie son neveu, nous pourrons continuer d’espérer pour l’avenir boréal qui semble précipité vers un incontournable abîme.
Quelques oies blanches passent au-dessus du cap Graham et nous rappellent que l’été approche. Tout va se diluer dans ce mois de juin estival et l’océan envahira de nouveau pour quelques mois le détroit d’Éclipse forçant l’ours à regagner la terre ferme, le phoque la mer et les rochers. Les eiders et marmettes iront alors nicher dans les falaises de l’île Bylot. Ainsi, le cycle de la vie se perpétue au fil des saisons.
Dans le souffle tiède de ce printemps septentrional, je surprends un murmure inuktitut venu de loin, venu de la nuit des temps ! Inuit et Arctique échangent leurs secrets. Ils parlent de silence, d’immensité, d’authenticité, d’humanité.
Ensemble, ils parlent d’ÉTERNITÉ.
PS : Et n’oubliez pas : Un problème…? mettez-ça dans votre sac de couchage !
Pond Inlet le 06 juin 2018
Pond Inlet le 14 juin 2018
Retrouvez ce voyage dans l’émission Guides d’aventures qui sera diffusée le 18 octobre 2018 sur la chaine UNIS TV
Bibliographie pour en apprendre plus sur la banquise et ses secrets :
- Les derniers rois de Thulé – Jean Malaurie ;
- Vilhjalmur Stefansson et l’Arctique – Alexander Gregor ;
- L’Eldorado polaire de Martin Frobisher – Marie Hélène Fraïssé ;
- Inuit, les peuples du froid – Georges-Hébert Germain et David Morrison ;
- Les Conquérants des grands espaces – Peter C. Newman;
- les Princes marchands – Peter C. Newman ;
- la Compagnie de la baie d’Hudson – Peter C. Newman ;
- Ile de Baffin et Parc national Auyuittuq, au Pays des glaces éternelles – Parcs Canada ;
- le Canada au temps des envahisseurs – Musée Canadien des Civilisations.
Toutes les photos sont la propriété de ©Éliane Vételé.
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Consultez nos programmes en Arctique et le programme suivi par Éliane pendant son séjour.
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